(LIBRE) LÈVE-TOI

21 avril

J'suis épuisée, larguée, complétement jet-laguée. Ça a été long d'traverser le pays pour arriver jusqu'ici, et maintenant qu'j'y suis, j'sais même plus d'quoi j'ai envie. Enfant de l'ouest et enfant à l'ouest, j'me suis juste assise sur l'herbe fraîche avec mes ongles qui s'plantent dans la terre parce que y a rien d'mieux à faire. C'est la nuit, tout le monde a l'air endormi ici, et moi j'ferme fort fort les yeux pour essayer d'faire comme eux. Mais y a la pleine lune et trop d'questions qui s'bousculent pour qu'j'puisse organiser mes pensées. J'ai les bus dans mon champ d'vision mais j'sais pas comment m'en approcher, pourtant assez près pour m'y raccrocher mais en même temps trop loin pour y arriver. C'est con mais j'ai même pas fumé, pas trouvé l'argent pour m'payer cette opportunité et puis d'toute façon j'ai plus besoin de ça pour rêver. Pour l'instant, c'est suffisant c'que j'ai à ma portée ; les pages blanches d'un livre qui n'attendent que d'être annotées. Et tout ça, j'sais plus si c'est exaltant ou effrayant, tout s'confond dans un brouillard profond,
ça bloque un peu la respiration quand on manque de direction.

C'est le dernier soir à Ocean City alors autant profiter des derniers moments dehors, surtout qu'elle reviendra pas dans cette ville d'aussitôt. Une certitude. Elle a bien aimé, maintenant Thalia est impatiente de voir c'qu'il va se passer par la suite. Elle arpente les rues de la ville, seule malgré l'ambiance nocturne. Ça lui permet de réfléchir, de s'isoler un peu des autres. Elle en a besoin en ce moment, elle a des périodes comme celle-là où elle préfère être seule plutôt que de se mélanger aux autres. Mais, ça va lui passer. C'est sûr. Thalia retrouve le chemin des bus, faut bien qu'elle y rentre à un moment ou un autre. Elle sait pas à quelle heure ils reprennent la route, ce serait pas très malin de rater bêtement le départ. Plus trop loin des bus, elle aperçoit une silhouette près de là quand elle regarde curieusement autour d'elle. Signe d'une autre personne qui ne dort pas encore. Thalia ne sait pas trop pourquoi, mais elle se dirige doucement vers la personne qui est là. Elle sait très bien qu'elle ne trouvera pas le sommeil maintenant de toute façon donc bon. Mais c'est assez curieux, elle qui souhaitait être dans sa bulle il y a encore quelques minutes. Elle s'assoit sur l'herbe, aux côtés de la fille et la regarde rapidement. Bien qu'il fait sombre, elle ne semble pas la connaître et l'avoir déjà vue auparavant. Sûrement une nouvelle venue. " Tu trouves pas le sommeil ? " C'est comme si sa voix résonnait, vu le silence qui règne là, à part le bruit un peu lointain de l'eau s'échouant sur le sable.

Y a plus d'ciel bleu, que le noir, noir, et un peu d'espoir. Pourtant, y a personne qui vient m'voir - c'est sûrement que j'dois pas trop briller dans l'obscurité. En même temps, j'ai l'impression d'être sale, sale à cause du voyage, comme un chien errant qui a le poil pas très seyant. Et j'sais que j'pense trop et que j'agis pas assez, que j'aurais certainement du trouver quelque part où m'laver, trouver quelqu'un avec qui partager cette soirée. Mais j'ose pas bouger, j'reste éloignée avec les mots et les maux qui s'emmêlent au fond d'ma trachée. Comment ça sera, ce voyage hein, dis-moi ? est-ce que ça s'verra, que j'suis pas normale, un peu trop bancale ? Trop de questions qui se bousculent quand une voix vient faire taire le vacarme de ma tête. « Tu trouves pas le sommeil ? » J'essaie de sourire à la fille assise à côté de moi, ses mots se perdent dans l'infinité pendant que moi j'essaie de me faire animal un peu plus docile. « Non... c'est la pleine lune. » Je bredouille un truc du genre, le sourire un peu désolé parce que j'arrive pas à mieux expliquer. « Et toi..? pourquoi t'es venue prendre l'air ? » J'sais plus trop comment faire dans ces cas-là, plus l'habitude de me faire aborder sans jugement, aussi simplement. Mes yeux se posent à nouveau sur la silhouette des bus qui se détachent de l'horizon. « Est-ce que tu viens de là-bas ? » Coup de menton vers les bus en question, les prunelles nimbées de curiosité mais encore un peu paniquées à la simple idée de les évoquer.

Elle est là, assise sur l'herbe à essayer de converser avec une inconnue. Y a aussi le silence au milieu. Le genre de silence qui reste agréable, qui ne gêne absolument pas. Thalia, elle en profite. Elle apprécie, ça l'apaise un peu. Elle sent la présence de la fille à côté, mais elle ne la dérange pas. Et puis même si c'était le cas, le choix elle ne l'a pas. C'est elle qui est venue, là, s'asseoir à ses côtés. Simplement parce qu'elle ne pense pas trouver le sommeil à cause de choses bêtes et qu'elle a été attirée là. Sans trop savoir pourquoi. Thalia jette un regard à la fille, attendant une quelconque réponse à sa question. A la discussion qu'elle a tenté de lancer. Et innocemment, à la réponse qu'elle lui donne, elle relève la tête vers le ciel pour découvrir qu'effectivement, y a la pleine lune. Elle hoche la tête, signe d'acquiescement par la suite. Puis la question lui est retournée, ce qui lui fait lâcher un léger soupir. Non pas que discuter ou la question posée la dérange, c'est juste qu'elle même ne sait pas vraiment pourquoi elle est là. " J'étais déjà dehors, j'me promenais. Puis là, j'ai pas trop l'envie de dormir, alors j'sais pas. J'suis là. " Elle hausse les épaules et joue doucement avec l'herbe sur laquelle elle est assise. C'est un peu bête, elle est bête, y a rien qui a du sens ce soir. Y a la fille qui lui pose une question, la sortant de ses pensées dans lesquelles elle s'était plongée. Thalia relève la tête vers elle, elle suit finalement son geste. Elle lui indique les bus et ça l'étonne pas. Quelqu'un présent ici à cette heure-là, Thalia était à peu près sûre qu'il s'agissait d'une personne de bus. " Ouais, tout à fait. "  Dans la nuit, elle affiche un léger sourire, qui ne doit sûrement pas être voyant. " T'es nouvelle, j'suppose ? "