Box de Devil of Blood; Il vous poursuivra même dans vos rêves.

Joséphine Desroses parcourut des yeux un article parut dans le quotidien de la ville abritant le haras du Clos, là où la jeune femme travaillait en tant que monitrice. Absorbée dans sa lecture, elle ne remarqua pas un petit groupe d’élèves qui partait en balade en compagnie d’une monitrice stagiaire, nommée Aurélia. Ses grands yeux bleus allaient de ligne en ligne, un petit sourire en coin sur les lèvres. L’article la concernait. Dans la matinée, elle avait reçu un SMS de Serge lui indiquant qu’elle avait une nouvelle monture, nommée Devil of Blood. Un cas difficile, avait-il dit. Autrefois international, le Holstein était resté traumatisé par un accident à l’obstacle, un mois plus tôt. Un mois plus tôt… C’était tôt pour le relancer dans une éventuelle future carrière, et Jo n'avait pas idée de cela. Les journaux, apparemment, si.

Devil avait tourné en international. Joséphine aussi. Pour les rédacteurs du quotidien, c’était un couple explosif sur les terrains de concours qui se préparait. Mais ils n’avaient donc aucune idée de ce que pourrait représenter la rééducation d’un cheval traumatisé ! Il lui faudrait peut-être plus d’un an pour faire repasser des barres au gris ! La monitrice soupira, finit son café, sortit de son bureau et descendit tranquillement les escaliers du bâtiment réservé à l’administration. Ce matin-là, elle était partie repérer de futurs talents lors d’un concours de jumping. L’après-midi, elle avait donné deux cours particuliers, puis s’était attelée à du travail administratif avant de se détendre en lisant le journal. Ayant pas mal de temps devant elle avant son prochain cours, elle décida de faire le tour des écuries pour voir son nouveau protégé.

Elle traversa la cour pavée, sautilla jusqu’aux écuries. Au passage, elle alla aider une cavalière à brider son cheval – celui-ci levait haut la tête et elle ne parvenait pas à lui mettre le filet. Une fois que Joséphine eut réglé ce problème, elle entra dans l’écurie principale. Les chevaux passaient leur tête par-dessus la chaînette qui fermait leur box, pour la plupart. Les portes des box étaient laissées ouvertes pour donner de la liberté aux chevaux. Seuls deux ou trois chevaux étaient totalement cloîtrés dans leur box – dont le nouvel élève de la monitrice. Jo sourit en voyant son nom écrit sur la plaque étincelante du box. Elle laissa même aller un petit rire en voyant l’écriteau placé sous celui-ci :


Souriante, elle s’approcha de la porte du box, fermée. Les deux loquets tirés à fond. Elle cessa de rigoler, recouvrant son sérieux. Pour elle, aucun cheval n’était dangereux. L’homme les rendait dangereux. Jo avait déjà assisté à des miracles, lorsqu’un vieux maître d’équitation lui avait tout appris. Elle avait vu un cheval violent devenir doux comme un agneau en présence de son dresseur. Le caractère du cheval s’adaptait en réalité à l’être humain que nous étions. C’était un des fondamentaux de l’équitation. Si on ne savait pas cela, alors on ne savait rien. Et on n’avait pas la possibilité de devenir un excellent cavalier, tournant à haut niveau en concours. Voilà ce que Jo s’efforçait de faire comprendre à ses élèves : le cheval devait être un allié, et non une machine à gagner. Sinon, le résultat était… Devil of Blood aujourd’hui. S’approchant à pas mesurés de la porte, elle resta légèrement en retrait au cas où le Holstein bondirait en avant, et pour lui autoriser de garder un certain périmètre de « sécurité ». Puis, en sifflotant, elle appela :

- Devil, mon beau… ça va ? Hum, t’aime plus les humains, hein ? Elle a été méchante ta maîtresse, n’est-ce pas, quand tu avais mal, de te laisser tout seul ? Moi aussi, j’ai eu un accident, tu sais. Mais aujourd’hui j’en suis remise. En même temps, ma vie a été légèrement plus simple que la tienne, je pense… Mais on est tous les deux des handicapés de la vie. Toi et moi.

Joséphine sourit à ses propres paroles, et pouffa, mais sans joie.