Thingol, here come the days of the king

Peut-être, lorsqu’elle le nomma d’après un roi elfique issu de la mythologie du Seigneur des Anneaux, son éleveuse vit-elle juste, alors que le poulain tremblait encore sur ses longues jambes. Thingol est un roi, et il dégage ce charisme étrange, qui vous fait battre le cœur plus vite et vous fait vous redresser, comme si vous essayiez de ne pas paraître si insignifiant. Peut-être est-ce là le phénomène le plus étrange avec ce cheval : lorsque ses yeux sombres, emprunts d’intelligence, se posent sur vous, vous vous sentez soudain envahi d’un étrange sentiment de petitesse, presque d’inconfort. L’impression qu’il vous juge, vous décortique, vous évalue. Thingol est un étalon à fleur de peau, sensible au moindre changement, au moindre mouvement. Et chaque pas que vous ferez en arrière, c’est du terrain définitivement perdu. S’il est doué, il n’en reste pas moins dominant, et son intelligence redoutable pourrait mal finir : placé entre des mains inexpérimentées, il pourrait se braquer, ou vous envahir totalement. Travailler avec Thingol, c’est trouver le juste équilibre entre fermeté et douceur, autorité et concession. Car on n’ordonne pas à Thingol. On demande. Mais malgré ce caractère fort, presque capricieux, l’étalon est loin d’être mauvais. Plein d’une générosité insoupçonnée au premier abord, c’est sur un carré de dressage, au détour d’un piaffé ou d’un appuyer, qu’apparaîtra, l’espace de quelques instants, sa sensibilité sans pareil. Et alors, seulement, ferez-vous partie des rares personnes à qui Thingol fait pleinement confiance. Peut-être serez-vous parmi ceux qui ont persévéré au-delà des premières difficultés, et ont découvert la fragilité et l’élégance dont peut faire preuve l’étalon. Peut-être… Mais d’ici-là, des moments difficiles vous attendent…

Un mètre soixante-cinq au garrot de muscles et de nerfs. Du point de vue de la taille, Thingol est somme toute relativement petit pour sa race. Cette petit taille ont amené nombre de ses cavaliers à le sous-estimer grandement. Si vous vous deviez jamais le monter, ne faites pas cette erreur. Car bien que petit, Thingol est un cheval musculairement très développé (comme nombre d’étalons de dressage). Puissant, il ne semble pourtant pas, lorsqu’on le contemple au pré, particulièrement ramassé. Ce n’est qu’une fois rassemblé et rond, sur le carré, que l’on peut prendre la pleine mesure de sa musculature. Une tête et des jambes fines, dont trois sont marquées par des balzanes haute et la quatrième par un principe de balzane, le tout habillé d’une robe bai brûlé si changeante qu’on jurerait parfois, d’une saison à l’autre, qu’il ne s’agit pas du même cheval. Voilà ce qui définit, au sens le plus  pragmatique du terme, Thingol.

Thingol naît en 2002, dans les vertes terres du Kent anglais. Il est le dernier produit d’une reproductrice en fin d’un carrière, et le premier fils d’un étalon de dressage qui faisait de bons résultats sur le circuit national. Aussi, lorsque le joli bai brûlé pointa le bout de son nez, l’éleveuse s’attendait-elle à obtenir un bon cheval de compétition, qui ferait au mieux des podiums en national. Elle s’attendait à le vendre à un jeune cavalier ambitieux, avec un niveau relativement correct. Il n’était qu’un poulain parmi les deux ou trois autres qui naissaient chaque année dans ce petit élevage familial.

Il grandit sans problème, ayant le privilège (rare pour un cheval du XIXe siècle),  de grandir auprès de sa mère, dans un groupe social large. L’éleveuse est connue pour produire des chevaux au mental extrêmement sain, et elle est persuadée qu’un sevrage tardif et une croissance dans un troupeau, plus proche du rythme naturel des chevaux, sont les raisons majeures de l’excellent mental de ses chevaux. Il est mis au débourrage à 3 ans, et se révèle un cheval avec beaucoup de cœur, des bonnes attitudes, mais un caractère bien trempé. L’éleveuse le confie à l’un de ses trois fils, qui ont l’habitude de sortir les jeunes chevaux en concours pour les former et les faire remarquer.

Mais les choses ne se passent pas bien avec Thingol. Hypersensible et dominant, il se défend souvent, n’hésitant pas à partir en rodéo au milieu du carré. Les trois fils se le refilent comme une patate chaude, et ces changements incessants ne font qu’empirer les choses. Pourtant, les rares fois où il accepte d’y mettre du sien, l’étalon peut faire montre de talents prometteurs. Finalement, l’éleveuse finit par le confier à un ami, cavalier de dressage en fin de carrière. A force de travail et de patience, le cavalier finit par comprendre un peu plus le jeune étalon et alors qu’il approche ses 7 ans, Thingol commence à donner d’excellents résultats. Il restera un an sous la selle du cavalier, avant qu’un acheteur n’en propose un prix incroyable à l’éleveuse. Elle accepte, et l’étalon change de propriétaire, et de cavalier.

Il est au crépuscule de ses 7 ans lorsqu’il débarque dans les écuries d’Emily Gillins, au Pays de Galle. Elle est celle qui l’a le mieux compris, et qui l’a amené à son meilleur niveau. Cela demanda au couple beaucoup de temps, de travail et de remises en questions, mais tous les doutes et les efforts d’Emily finirent par être récompensé. A mesure que le cheval lui faisait confiance, elle le découvrait toujours plus talentueux, pointilleux dans ses gestes, ample dans ses mouvements, précis dans ses déplacements. Souplesse, élégance, force. Le petit poulain du Kent avait fait du chemin, et enchaînait à présent les Grand Prix internationaux. Il termina 5e des championnats du monde.

En 2012, il participe aux Jeux Olympiques. Il faisait partie des favoris, malgré son caractère complexe et difficile à gérer. Pourtant, le jour de la compétition, bien qu’il réalise une performance excellente et termine dans le TOP 20 en individuel, Emily n’a pas le cheval dont elle a l’habitude. Il semble éteint, sans cette énergie ingérable qui l’habite normalement.

Cinq jours après la fin des compétitions, on retrouve Thingol couché dans son box. Coliques foudroyantes. Il restera plusieurs jours entre la vie et la mort, refusant obstinément de lâcher la vie. Une opération, des doses massives de médicaments et six mois de repos plus tard, le cheval est sorti d’affaire et se remet. Emily, en accord avec son propriétaire, décide de le mettre à la retraite anticipée, le sachant de santé fragile (ces coliques étant loin d’être son premier problème de santé).

Un an passe, mais le moral de l’étalon se dégrade, et sa condition avec. Il s’ennuie. Il a déjà engendré quelques produits et se révèle un bon reproducteur, mais Thingol s’ennuie dans cette vie de retraité. Emily le remet au travail, mais sait parfaitement qu’elle n’en fera lus jamais son cheval de tête. Il lui faudrait autre chose, de la nouveauté. Les propriétaires, amis de Serge Cruzot et sachant qu’il a créé une académie, décident de le lui confier. Cela permettra au cheval de reprendre une vie de compétiteur, mais avec moins d’exigence que la vie de compétiteur international, cela lui offrira de la nouveauté, et il sera surtout excellent instructeur pour les élèves du Haras…